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Carnet de bord 02

Tenir des carnets de bord. Sans s’excuser

Île aux Grues
47°03'01.5"N 70°35'44.6"W

Mis en ligne le 30 juin 2025

Texte par Kateri Lemmens

L’Expédition Bleue revient pour un troisième et dernier chapitre dans le Saint-Laurent. L’équipe fait les choses en grand avec sa flottille composée des voiliers Vanamo et Bleuet et son équipe interdisciplinaire composée à 75% de femmes. Les volets scientifique, littéraire et documentaire sont de retour et s’enrichissent du regard de chercheuses en écotoxicologie marine, en communication, en éthique et en archéologie. 


Les deux voiliers voyageront pendant 18 jours dans les îles de l’estuaire du Saint-Laurent, de l’eau douce de l’Île d’Orléans à l’eau salée de l’Île Saint-Barnabé. Suivez leur mission de recherche en direct à travers les carnets de bord, les cartes postales poétiques et les réflexions qui paraitront en ligne au fil de l’expédition.


Bienvenue à bord!

Tenir des carnets de bord.
Sans s’excuser

On ressort les carnets. Les griffonnages, les scribouillis, les petits morceaux d’écriture maladroite captés au vol à partir desquels on va écrire… ou pas. C’est dense, touffu, anarchique, des pensées, des notes, des impressions fugaces : un vrai bonheur de jardinerie anglaise. 

 

Ah, les fameux carnets ! Ces grands mal-aimés !

(On le dit pour l’avoir entendu… )

 

Pourtant, à elle seule, l’idée du carnet est un ravissement minuscule. D’abord, parce qu’elle renvoie au registre, à ce qui se détache, à la touffeur de la pensée de la création, au mélange. La petite part de soi éternellement effervescente et désordonnée adore. 

 

On pourrait aussi se rappeler que le carnet, le cahier et le journal ont des affinités profondes avec la pratique de la navigation, le travail des naturalistes, le dessin et la peinture. On dit journal de bord, carnet de bord. Cahiers de croquis. (En anglais, il y a souvent l’idée du « livre » qui reste quand on dit logbook, ou encore sketchbook). Or il n’y a rien comme se prendre un peu pour une aventurière, une navigatrice, une femme sur un bateau (inutile de dire qu’on disait autrefois que ça portait malheur, les femmes sur les bateaux) pour sentir monter en soi un élan de vaillance et de courage. 

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Et puis, un carnet, c’est petit. Et humble. Un brin dilettante, un peu flânerie, rêverie encore. Carnet : étymologiquement la feuille pliée en quatre. Ça se traîne partout, ça se traîne avec soi parce que c’est la vie qui passe qu’on veut capter. C’est petit, mais c’est mégalomane un carnet : si seulement on pouvait tout saisir, tout capter ! Le carnet, registre, enregistre… et on voudrait y faire entrer carte, boussole, compas, gouvernail.  

 

Climatiques, météorologiques, inscrits dans le temps et dans l’espace, les carnets filent le temps, le captent, le préservent, le font briller dans sa fuite comme de petits tessons de verre polis qu’on prélève au milieu des galets et qu’on garde avec soi parce qu’ils sont beaux, simplement beaux, parce qu’on les a trouvés et qu’ils nous rappellent qu’un moment a existé à cet endroit précis. Les notes et les entrées font d’ailleurs souvent penser à de petits fragments d’essais qui auraient gardé les traces de l’écriture au fil des jours et des paysages.  

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À la terrasse, au soleil, on repense au titre du roman d’Ocean Vuong, On Earth We’re Briefly Gorgeous (littéralement Sur terre nous sommes brièvement magnifiques). On réalise qu’on a toujours aimé les carnets d’écrivains et qu’on ne les tient pas pour des résidus indignes mais pour des exercices d’attention curieuse et intéressée qui se tiennent au plus près du monde pour l’effleurer, le découvrir, le raconter, l’aimer. Pas étonnant qu’une des pièces maîtresses, mais cachée, de l’œuvre de Thoreau soit son Journal. 


Étudiante, on avait fait des Journaux de Sylvia Plath son livre de chevet : parce qu’ils donnaient à lire les années, la matrice possible d’une vie d’écriture et de combat pour y arriver. On se souvient d’un corps-à-corps lumineux comme une tempête avec l’ambition, le travail, l’amour, les carcans qui étouffent. On se rappelle du coup de foudre qu’on a eu en lisant les notes sur l’art de voir, de lire et d’écrire de Robert Lalonde, car c’était tout cela, Le Vacarmeur : le temps qu’il fait, et l’odeur des choses, et les livres des autres, et l’exaltation de se tenir au plus près de la vie, de la nature et des mots, et de s’en émerveiller, et de faire rayonner si intensément cet émerveillement qu’il en devient contagieux. Et puis, c’est vrai qu’on craque pour les éternellement inclassables de Dany Laferrière, et les carnets et cahiers de Ponge, les journaux de Virginia Woolf et qu’on a tout de suite eu envie découvrir les carnets d’esquisses et de croquis d’Istanbul d’Orhan Pamuk quand on a découvert leur existence. Les très très grand.e.s pratiquent eux aussi l’art du carnet.

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Parce que les carnets ne sont pas qu’exercices, ils n’existent pas seulement pour faire des gammes (Valéry), ils ne sont pas que les rêves des œuvres à venir, ils font œuvre, ils sont œuvres (Handke, un autre grand maître). Ils ne sont pas que témoignages, ils racontent, inventent, rendent le grain du réel. Ils sont phares, sémaphores, bioluminescence faite de contacts en eau noire. Ils sont peinture parce qu’écrire, c’est encore peindre. 

 

Tenir un carnet de bord, c’est se tenir à la fenêtre d’un traversier pour laisser affluer sur le pont le turquoise de l’estuaire. 

 

C’est, encore et toujours, « ouvrir un atelier et y prendre en réparation le monde, par fragments, comme il lui vient » (Ponge, éternel). 

 

C’est scruter l’horizon sombre à la recherche d’un souffle, d’un mouvement glissé, à la surface qui murmurerait : il y a tant de vie ici à aimer, à préserver, à raconter.  

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