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Horizons du fjord

De Baie Éternité à l'Anse-Saint-Jean, Fjord-du-Saguenay 48°20'42.9"N 70°52'43.7"O
Carnet de bord 02 

Mis en ligne le 27 juillet 2024

Recueil de fragments co-écrit par Chloé LaDuchesse, Rose Gagnon-Yelle, Camille Deslauriers

L’équipage de l’Expédition Bleue, plus intersectoriel que jamais, repart à l’aventure. Pendant 18 jours, l’élégant voilier Vanamo traversera le parc marin Saguenay–Saint-Laurent. Il s’arrêtera dans quatre régions terrestres du Québec pour documenter la pollution plastique à plusieurs échelles.

 

Suivez pendant 18 jours les réflexions, microrécits et cartes postales laissés dans nos sillages.

Bienvenue à bord!

Horizons du fjord

On a encore sur la langue le goût des framboises cueillies au bord du quai. Elles étaient délicieuses : au sucre vibrant s’ajoutait une touche d’iode déposée par le vent marin, explosant sous la langue en un feu d’artifice vermeille.

On se surprend d’éprouver tant de joie devant la découverte d’un fruit sauvage. Nos corps se souviennent du temps où il suffisait de se pencher pour se nourrir, des doigts tachés, de l’ordinaire des récoltes. Geste disparu depuis longtemps, puisque rien ne pousse sur le bitume. C’est comme si nous avions cessé d’espérer ces largesses que la nature répand, comme si nous ne savions plus la rencontrer ailleurs qu’au supermarché, dans des barquettes de plastique.

Hors des villes, les framboisiers sont une mauvaise herbe. Ils poussent les pieds dans le gravier, ne demandent rien et font le bonheur des oiseaux. Nous songeons que souvent, vivre suffit; que la joie se multiplie à l’abri des regards. Personne n’enregistrera ce moment où une femme découvre une framboise, la porte à sa bouche.

Quand la nuit vient, on rêve aux bontés du fjord et on les garde jalousement pour soi.

Chloé Laduchesse

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Les yeux s’accrochent sur les vagues pour grimper jusqu’au rivage. Sur les roches obstinées, la laisse de mer attend qu’on la dérange. Encore quelques mètres de forêt et le regard accélère. Les épinettes les plus grandes font tremplin vers le ciel, et la tête nous tourne comme celle d’une libellule.

Les montagnes hésitent : se lancer dans l’eau ou en dessiner les contours. C’est la faute des géants. Quand ils sont descendus jusqu’au fleuve, leurs pieds se sont enfoncés dans la terre et la pluie sur leurs talons a rempli les fossés. Arrivés à Tadoussac, les géants avaient de l’eau jusqu’aux chevilles. Ils ont trébuché sur l’horizon et leurs longs corps sont tombés dans la mare. Ils se sont lovés dans le chenal jusqu’à s’oublier, et leurs éclaboussures n’ont jamais arrêté d’osciller. 

 

Rose Gagnon-Yelle

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On y est enfin. Anse de la Descente des femmes, à Sainte-Rose-du-Nord. On a rêvé du lieu en raison de son toponyme. Anse de la Descente des femmes. On répète le nom comme une litanie, on écoute les rumeurs du ressac et, déjà, on flotte entre rêve et réalité. 

 

Parler du territoire, c’est aussi transmettre ses légendes et quand on sonde le lit du fjord, il a bien des histoires à raconter. Des êtres mystérieux habiteraient les eaux noires et froides. On prétend que certains soirs, on entendrait des sirènes. On dit que leurs chants se répercutent à l’unisson contre les parois des falaises. Leurs voix se dissimulent dans les bancs de brouillard, se confondent avec les embruns, font danser les aurores boréales, ravissent les marins. 

 

On raconte qu’une fois, un capitaine plus concupiscent que les autres aurait offert un pamplemousse à une sirène, ce qui lui aurait valu un baiser – et bien d’autres délices. À la pointe de l’aube, le téméraire aurait coupé une mèche de la surnaturelle chevelure. Pour la conserver comme une relique ? Pour se vanter de sa conquête d’une nuit en bon prétentieux ?  Seule la framboise de mer le sait. Chose certaine, le cri de la sirène a été strident au point qu’une terrible tempête a éclaté. Tonnerre, éclairs, déferlantes et bourrasques ont secoué le fjord. Et le fjord a secoué le paquebot et le paquebot a secoué l’équipage et l’agresseur a coulé à pic avec ses croisiéristes. C’est une Grande Déesse de pierre incrustée dans le béton du quai de Petit Saguenay qui nous l’a confié. 

 

On l’avoue, pendant les collectes de déchets plastiques, le long de notre épopée dans le fjord, on espère toutes que les plongeuses retrouvent le squelette du capitaine qui, semble-t-il, est encore enseveli dans la boue sous-marine, ciseaux à la main. On répète Descente des femmes, Descente des femmes, Descente des femmes. On rêve d’accrocher le coupable au mât pour le punir une seconde fois, afin qu’il serve d’exemple, comme on l’a fait à Pointe-Lévy – injustement – avec la Corriveau dans sa cage. 

 

Jusqu’à maintenant, on n’a repêché que des pneus, des tiges de métal oxydé, des cordes et des hameçons. Qu’à cela ne tienne : au nord comme au sud, à Baie Éternité comme dans la Baie Sainte-Marguerite, navigatrices, amirale, méduses à crinières de lion, baleines, sépioles et louves de mer, nous sommes toutes les héritières des sirènes. 

 

Nous garderons nos chevelures et nos voix. Sur le pont du Vanamo, nous chanterons à l’unisson avec Mélusine.

 

Camille Deslauriers

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