

Carnet de bord 06
Bleuettes
ou Vanamoises ?
Île Bicquette
48°06'23.8"N 69°19'19.7"W
Mis en ligne le 25 août 2025
Texte par Camille Deslauriers et Chloé La Duchesse, d’après les témoignages et les idées de Laurence Martel, experte du sandwich; Marie-Pier grenier, cheffe; Guillaume Shea Blais, Éloi Marmet-Rochefort, Adrien Bernier, François Leduc, Maximilien Rolland, Natalie Doonan, Viridiana Jimenez-Moratalla, Tina Laphengphratheng et Anne-Marie Asselin.
Photos argentiques par Chloé Bélanger-Leduc et Maximilien Rolland
L’Expédition Bleue revient pour un troisième et dernier chapitre dans le Saint-Laurent. L’équipe fait les choses en grand avec sa flottille composée des voiliers Vanamo et Bleuet et son équipe interdisciplinaire composée à 75% de femmes. Les volets scientifique, littéraire et documentaire sont de retour et s’enrichissent du regard de chercheuses en écotoxicologie marine, en communication, en éthique et en archéologie.
Les deux voiliers voyageront pendant 18 jours dans les îles de l’estuaire du Saint-Laurent, de l’eau douce de l’Île d’Orléans à l’eau salée de l’Île Saint-Barnabé. Suivez leur mission de recherche en direct à travers les carnets de bord, les cartes postales poétiques et les réflexions qui paraitront en ligne au fil de l’expédition.
Bienvenue à bord!

Bleuettes ou Vanamoises ?
La mission s’achève. La dernière rotation des membres de notre équipage prévue au plan de mission s’est effectuée les 4 et 5 juillet, à Trois-Pistoles. Hanna et Marijo ont quitté le Vanamo. Erika, Tina, Liz et Polina les ont remplacées après notre journée sur terre, toutes ensemble : nettoyage de berges et de quai; conférence sur les déchets plastiques étudiés à titre d’artefacts archéologiques avec Rachel Archambault de l’Institut de Recherche en Histoire Maritime et Archéologie Subaquatique (IRMAS); causerie sur les coulisses de l’Expédition Bleue d’Anne-Marie et de Camille; apéro-conférence, Ça mange quoi ton Saint-Laurent en été ?, à l’Escale maritime; Poke bowl de la Poissonnerie du Centre-Ville en guise de souper. Lors de chacun des débarquements et des embarquements, la peine de quitter les unes s’estompe dans la frénésie de retrouver ou de rencontrer enfin les autres.
On a passé la nuit devant l’île Bicquette. La météo était clémente et la mer, assez calme pour que le Bleuet « se mette à l’épaule » du Vanamo – c’est-à-dire côte à côte, comme si les deux voiliers de notre flottille devenaient une grande maison.



Toutefois, on a beau partager une même ancre et faire partie d’un équipage soudé, soudé, nos matins et nos fins de soirée diffèrent radicalement. Le réel des « Bleuettes » est plus rustique que celui des « Vanamoises » et les déjeuners se prennent dans nos bateaux respectifs.
Les Vanamoises ont droit à la cuisine de Marie-Pier, la Première Officière et responsable de la vie à bord du catamaran La Belle Vie Sailing. Éventails d’ananas, d’oranges et de raisins; pain doré à l’érable et aux fraises; œufs sauce hollandaise, gruau, grilled cheese réinventé, crêpes, omelettes. Un seul geste suffit pour voir couler un espresso ou allongé : appuyer sur un bouton. Les matins se succèdent, éveillent la gourmandise et ne se ressemblent jamais.
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Le réel des « Bleuettes » est plus rustique que celui des « Vanamoises » et les déjeuners se prennent dans nos bateaux respectifs.
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Les Bleuettes et leurs acolytes de l’équipe de production de l’Organisation Bleue sont davantage en mode camping. Elles doivent travailler en équipe. Le frigo est un trou noir duquel il faut excaver les victuailles et le premier café, une course à obstacles. Trouver les œufs, le fromage, le sel et le poivre, apprivoiser la cuisinière qui tangue avec le voilier, cuisiner pour huit personnes, faire bouillir l’eau tirée des cales du Bleuet dans une casserole pendant plus de dix minutes, laisser infuser le café dans la Bodum. Voilà autant d’étapes qui se succèdent au son de la trame sonore du jour, avant même la première bouchée, dans la légèreté et dans la joie de prendre soin les un.e.s des autres. Faute de temps pour cuisiner parfois, certain.e.s ont même fondé une secte. Les adeptes des “Vector”, des céréales à teneur élevée en protéines - un déjeuner à la fois croquant, sucré, nutritif et, surtout, rapide et pas compliqué. Dès le deuxième jour, Maximilien, l’un des deux caméraman de l’équipe, s’est improvisé gourou. Il a décrété : Les Vector, c’est la vie. Des “Vector”. Le genre de trucs qu’on n’achète pas à la maison mais qui convient parfaitement dans le cadre très particulier de la mission. À la manière d’un jus de légumes dans un avion. Dans les mots de Viridiana : Les Vector, c’est le jus de tomate de la voile.
Pendant l’expédition, nos autres repas se prennent à dix-huit personnes. Soit dans une marina, soit en pique-nique sur une plage mais, le plus souvent, en se répartissant autour des deux tables du Vanamo. Un défi pour Marie-Pier qui s’est imposé de ne pas répéter deux fois le même menu.
Quand on a faim, on est de retour en enfance. On a de nouveau huit ans, on rentre de l’école et on demande avec excitation : qu’est-ce qu’on mange ? Marie-Pier ne nous déçoit jamais. Dans nos assiettes, à la demande générale, hier, notre cheffe a dérogé à sa règle. Elle a consenti à nous servir, pour une deuxième fois, son fameux wrap au poulet (véritable ou simili) césar.



Pourquoi on l’aime tant ? On a fait un tour de table pour chercher à comprendre.
Les textures. Le croustillant de la tortilla de blé grillée, le crémeux de la sauce, le juteux des tomates. Les saveurs. À défaut de parmesan, du fromage cheddar mi-fort, blanc-pas-orange, parce qu’on est gastronomique, et des oignons, parfois rouges, qui ajoutent du piquant. La température : assez chaud pour combattre le froid, assez frais pour les jours de plein soleil. La laitue, pas en feuilles mais hachée, qui crée du volume et permet à l’air de circuler, ce qui amplifie le goût. Le ratio, parfait, entre la viande, les légumes et la sauce césar, à laquelle on peut ajouter de la Valentina ou de la Red Hot. Le format compact, la maîtrise de la technique d’emballage.
L’expectative heureuse de retrouver un sandwich aimé.
L’air du large. Le soin.
L’amour.



On fait un bilan. Pendant la mission, d’autres festins dégustés sur terre ont aussi été marquants. On se remémore avec appétit les délicieuses bouchées gastronomiques gracieusement offertes par l’Auberge Saint-Antoine, créées pour l’occasion par leur chef, Lucas Brocheton. Inspirées par le garde-manger du Saint-Laurent et agrémentées de produits cultivés dans le jardin de 4000m2 de l’Auberge Saint-Antoine, sur l’île d’Orléans : crudo de flétan sur coulis de rhubarbe et serti d’un oxalys, beignets de betteraves agrémentés de bourrache, tacos de ceviche de morue décorés d’un pétale de capucine et servis sur un lit de grains de maïs ancestraux. Des tapas qui explosaient dans la bouche comme un feu d’artifice sur la langue. On est pleines de reconnaissance pour ce privilège gustatif.
On parle encore du souper-conférence portant sur O’Net et de l’accueil chaleureux des propriétaires de la Maison de l’Île d’Orléans, Sylvie et Yves, le soir de la Saint-Jean-Baptiste.
Et on se souviendra toujours du dernier dessert de Marie-Pier, une mémorable fondue au chocolat versée sur un chemin de papier garni de morceaux de fruits, de pain, de gâteau et qui traversait la table de la terrasse du Vanamo.

Qu’on soit Bleuette ou Vanamoise, on est liées par une même mission, documenter, représenter, étudier, évoquer la pollution plastique dans le Saint-Laurent - et par notre amour pour la bonne bouffe et les produits issus du "meroir" (terroir maritime). La gourmandise est non seulement un carburant pour pouvoir mener à bien notre projet de recherche et de création, mais également une inspiration, un argument supplémentaire qui nous incite à protéger notre Planète bleue, le Saint-Laurent et ses ressources. Créatrices littéraires, scientifiques, équipe de production médias, éthicienne, archéologue, créatrices numériques, professeures, étudiantes, capitaines, amirale, peu importe nos fonctions et nos titres, on est toustes les multiples têtes d’une même chimère.
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La gourmandise est [...] un argument supplémentaire qui nous incite à protéger notre Planète bleue, le Saint-Laurent et ses ressources.
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Le soir venu, les Bleuettes – des couche-tard – se retirent dans le carré du Bleuet pour travailler jusqu’au début de la nuit et les Vanamoises – des couche-tôt – se replient dans leur cabine vers vingt-deux ou vingt-trois heures, tout de suite après le « point » quotidien où les co-cheffes de mission présentent les objectifs et le programme du lendemain.

