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Tique-tac, tique-tac... Pandémie sous le radar

Dossier: mieux comprendre la transmission de la maladie de Lyme

Collaboration avec eTick.ca
Co-écrit par Anne-Marie Asselin, Sonya Anvar, Jade Savage et Pierre Chuard
Illustrations par Ariane O'connor

Dossier | Faune | Épidémiologie

Temps de lecture: Environ 10 minutes

Co-écrit par Anne-Marie Asselin, Sonya Anvar, agente en mobilisation des connaissances, Jade Savage, Professeure de biologie, Pierre Chuard, Chef scientifique de l’Organisation Bleue

Illustrations par Ariane O'connor

Mis en ligne le 20 mai 2020

Nous entendons parler de plus en plus des tiques et de l'occurrence croissante des maladies transmises par ces petits arthropodes suceurs de sang. La population de tiques  dans l’hémisphère nord est en pleine expansion, ce que les experts considèrent comme des proportions pandémiques. Sonya Anvar, agente en mobilisation des connaissances, Jade Savage, instigatrice du projet eTick.ca et professeure de biologie, et Pierre Chuard, biologiste pour eTick.ca et chef scientifique de l’Organisation Bleue nous parlent de l’impact du réchauffement climatique sur l’émergence des maladies transmises par les tiques.

La COVID-19, le SIDA, le virus Ebola, le virus du Nil occidental, le SRAS, la maladie de Lyme et des centaines d'autres maladies infectieuses ont un dénominateur commun: ce sont des infections causées, du moins initialement, par des agents pathogènes transmis de la faune à l’homme. La hausse du nombre d’épidémies qui ont frappé au cours des dernières décennies n’est pas le fruit du hasard. C’est le résultat de notre impact sur la nature, et de la hausse démographiques des humains sur terre, qui ont des conséquences environnementales d’envergure. Près de 75% des maladies infectieuses émergentes qui touchent les humains sont des zoonoses - elles ont pour origine les animaux. Le changement climatique et l'étalement urbain sont conjointement responsables de l’exposition aux tiques d’une plus grande partie de la population canadienne chaque année. L’émergence de la maladie de Lyme et l’expansion rapide de l’aire de répartition de certaines espèces de tiques au Canada est une source de préoccupation pour les autorités de santé publique et la population en générale. 

Identifiée pour la première fois en 1975 dans la ville verdoyante de Old Lyme au Connecticut en Nouvelle-Angleterre, la maladie de Lyme a maintenant atteint ce que les experts considèrent comme des proportions pandémiques en moins de deux décennies. La santé humaine dépend étroitement de notre capacité à conserver la nature et la biodiversité, bien que la relation environnement-maladie semble plutôt floue.

L’humain affecte l’environnement, qui affecte le climat, qui affecte la biodiversité et qui en retour... nous affecte.

La réponse des espèces à diverses pressions exercées par l’humain, notamment l'agriculture, la chasse, la déforestation, l'introduction d'espèces envahissantes et l'expansion de la population humaine n’est pas sans conséquence pour nous et notre santé. Lorsque les écosystèmes sont perturbés, les interactions entre espèces se modifient, affectant ainsi le risque de multiplication des espèces porteuses de possibles maladies.

Le risque de contamination s’accroît lorsque ces espèces gagnent du territoire à travers le réchauffement climatique. Par exemple, la hausse des températures globales a, entre autres, favorisé la migration et l’augmentation du nombre d’individus et d’espèces-hôtes qui font partie du cycle de transmission de la maladie de Lyme. Le contact entre les humains et la tique porteuse de la maladie ne fait qu’augmenter en raison de l’étalement urbain dans des habitats propices aux tiques.

« La perte de biodiversité augmente le risque de transmission de différentes maladies infectieuses »

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Une tique à pattes noires à dos d’une souris à pattes blanches

La souris à pattes blanches, une espèce de petit rongeur et hôte prisé par la tique à pattes noires, vit principalement aux États-Unis où le climat tempéré lui offre un habitat adapté. Depuis les dernières décennies, suivant l’augmentation des températures, le territoire de la souris à pattes blanches s’est étendu, soit d’environ 10 kilomètres vers le nord chaque année. En Montérégie, dans le sud du Québec, la température a augmenté de 0,8 degrés Celsius depuis les années 1970, et la souris à pattes blanches y vit aisément depuis, grâce aux hivers plus courts et plus chauds. Cependant, la souris à pattes blanches n’a pas migré seule vers le nord...

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Grâce aux chélicères des tiques - des appendices buccaux semblables à des crochets - leur permettant de percer profondément la peau de leur hôte afin d’y rester accrochées tout en se nourrissant de leur sang, les tiques à pattes noires ont accompagné les populations de souris. En effet, une fois qu'une tique est sur un hôte et qu’elle s’est trouvée un point d’alimentation satisfaisant, elle saisit la peau, entaille la surface, puis y insère ensuite son rostre, un appendice de forme allongée lui servant de tube d’alimentation. Lorsque la tique se nourrit, des protéines spécifiques contenues dans sa salive agissent sur l'hôte : l'une a des propriétés anti-inflammatoires qui engourdissent la peau pour éviter à la tique d'être détectée, une autre est un anticoagulant qui empêche le sang de coaguler, permettant à la tique de se nourrir continuellement pendant plusieurs jours. 

Comme un grand nombre de souris à pattes blanches sont porteuses de la bactérie B. burgdorferi, pathogène responsable de la maladie de Lyme et transmissible de la souris à la tique à pattes noires, il est fort probable que la tique s'infecte à son tour durant son repas de sang sur le petit rongeur. Cette espèce de tique est également connue et redoutée pour être capable de transmettre la bactérie par le sang à leur prochain hôte, qui pourrait être l’Homme!

Mais où se cachent-elles?

Les tiques peuvent s’accrocher à n’importe

quelle partie du corps humain. Après une journée en plein air dans une zone à risque, portez une attention particulière à ces endroits : 

  • les aines

  • le nombril

  • les aisselles

  • l'intérieur ou autour des oreilles

  • l'arrière des genoux

  • le bas des fesses

  • le bas du dos

  • le cuir chevelu

Cette capacité à s’accrocher leur permet de voyager, aisément. C’est ainsi que la tique à pattes noires (Ixodes scapularis), la tique vectrice de la bactérie responsable de la maladie de Lyme dans l’est de l’Amérique du Nord, se retrouve aujourd’hui au sud du Québec. La souris à pattes blanches n’est bien sûr pas le seul moyen de transport dont a profité I.scapularis pour étendre son territoire; la tique s’accroche facilement à d’autres animaux, tels le cerf de Virginie, divers rongeurs et oiseaux migrateurs. La distribution géographique de cette espèce de tiques s’étend aujourd’hui du Texas dans le sud des États-Unis jusqu’à certaines parties du centre et de l’est du Canada. Comme les tiques peuvent être transportées par des oiseaux, elles se trouvent dans presque toutes les régions. Toutefois, les tiques ne sont pas toutes porteuses de la bactérie. Le plus grand risque de contracter la maladie de Lyme est présent dans les secteurs où des populations de tiques à pattes noires ayant une forte prévalence d’infection sont établies.  

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Aire de répartition

de la tique à pattes noires 

dans l'est du Canada

Une douzaine d’espèces de tiques sont présentes au Canada mais seules les tiques à pattes noires Ixodes scapularis et Ixodes pacificus peuvent transmettre la maladie de Lyme. Ixodes scapularis se trouve principalement dans le sud-est du pays, entre autres au Québec, alors qu’I. pacificus est présente dans le sud-ouest du pays. La seule espèce établie qui puisse transmettre la maladie de Lyme au Québec et dans le nord-est de l'Amérique du Nord est la tique Ixodes scapularis, aussi appelée « tique à pattes noires ».

Comment les changements climatiques favorisent-ils l'expansion des populations de tiques?

De nombreux insectes qui se nourrissent de sang, tels que les tiques, passent la majeure partie de leur cycle de vie libre dans l’environnement. Leur développement, leur survie et la dynamique de leurs populations dépendent de nombreux facteurs, notamment du climat. Les maladies transmises par les tiques circulent naturellement entre les tiques et les animaux sauvages. De par leur impact sur la faune, les changements climatiques peuvent aussi influencer la distribution et la densité des populations de tiques, augmentant le risque de transmission d’une maladie de la tique à l’humain!

 

En 2006, Ogden et al. ont publié un article sur les changements climatiques et l’aire de répartition de I. scapularis au Canada. De plus en plus de preuves empiriques soutiennent l'hypothèse selon laquelle le réchauffement climatique est un facteur clé de l'émergence de la maladie de Lyme, agissant à de nombreux stades de la maladie. À partir de modèles de projection de température pour les années 2020, 2050 et 2080, Ogden et son équipe ont déterminé que l'étendue théorique de la tique à pattes noires se déplacera d’environ 200 km vers le nord d'ici à aujourd’hui, et de 1000 km d'ici 2080. Ces données théoriques suggèrent que l'expansion réelle de l'aire de répartition ainsi que le taux de survie accru de I. scapularis devraient être décelables au cours des deux prochaines décennies. Ces prédictions, publiées en 2006, s’avèrent observables aujourd’hui!

« L'aire de répartition géographique des maladies liées aux tiques pourrait donc s'étendre considérablement vers le nord dû au réchauffement climatique. »

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Femelle

Mâle

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Larve

L’hypothèse de « l’effet de dilution » fait encore débat au sein de la communauté scientifique. Cependant, son impact probable sur l’incidence de la maladie de Lyme attire de plus en plus l’attention des chercheurs. La biodiversité protège la santé humaine en réduisant notre probabilité d'exposition à des agents pathogènes transmis par la faune. 

En réduisant la biodiversité, les changements environnementaux induits par l’humain peuvent augmenter le risque de transmission de maladies. La biodiversité aurait donc un effet dilutif sur la propagation de maladies.

 

Prenons l’exemple d’une tique au stade larvaire, récemment éclose, les pattes tendues en haut d’un brin d’herbe en attente d'un hôte potentiel. Si la tique éclot dans un habitat privilégiant les souris à pattes blanches, ou au cours d'une année où la densité de souris se trouve élevée à cause par exemple de la diminution du nombre de leurs prédateurs et donc de la biodiversité, la probabilité que le parasite obtienne son premier repas de sang à partir d’une souris potentiellement infectée sera élevée. Mais bien entendu, lorsque les tiques obtiennent leurs repas de sang d’hôtes sains, elles ne sont généralement pas dangereuses pour les humains. L’effet de dilution a donc un effet protecteur sur nous.

C’est ainsi que les tiques peuvent contaminer les populations humaines, en faisant office de « pont » depuis d’autres espèces animales. Lorsque la diversité des hôtes est élevée et variée, la probabilité que les tiques se nourrissent à partir d’une souris à pattes blanches infectée est plus faible.

Protection et prévention

Les tiques ne sautent pas, ne volent pas et ne se laissent pas tomber d’une surface en hauteur (par exemple, une branche). Elles peuvent cependant s’agripper à vous ou à votre animal de compagnie lorsque vous êtes en contact avec des végétaux dans un jardin, un aménagement paysager, dans les forêts, les boisés et les herbes hautes. 

 

La meilleure façon de prévenir les piqûres est de se couvrir pour empêcher les tiques de s’agripper. Porter des bas qui couvrent les chevilles ou des pantalons longs lors de balades. Pour votre animal de compagnie et vous, restez dans les sentiers pour éviter les herbes hautes. 

Source: quebec.ca

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Une plateforme citoyenne pour identifier les tiques

Vers 1990, suivant l’augmentation rapide des cas de maladie de Lyme au Québec ainsi que la prolifération des populations de tiques dans le sud de la province, les agences de santé publique ont mis en place un programme de surveillance pour
I. scapularis. Depuis, le Laboratoire de santé publique du Québec (LSPQ) analyse les tiques transmises volontairement par les laboratoires hospitaliers de microbiologie médicale et par certains hôpitaux et cliniques vétérinaires.

 

Afin d’aider les agences de santé à cartographier la distribution géographique des tiques dans les différentes régions du Québec, Jade Savage, entomologiste et chercheuse à l’Université Bishop’s, a mis sur place une plateforme de science citoyenne : eTick.ca. L’initiative vise à encourager le public à soumettre des photos de tiques à des fins d’identification et de cartographie en temps réel.

 

Grâce à une subvention de 716 477 $ provenant des fonds du programme de maladies infectieuses et de changements climatiques de l’Agence de santé publique du Canada (ASPC), l’équipe d’eTick a étendu la portée de la plateforme à six provinces: Saskatchewan, Ontario, Québec, Nouveau-Brunswick, Nouvelle-Écosse, Terre-Neuve-et-Labrador ; et vise une couverture canadienne complète en 2021. Pour bénéficier du service d’identification rapide qu’offre l’équipe d’eTick, il suffit de prendre une photo de la tique, que celle-ci se trouve sur un animal, un humain, ou libre dans l’environnement, afin de recevoir en un jour ouvrable l’identification de l’espèce, ainsi que des informations complémentaires sur les risques possibles et les ressources disponibles selon la province de résidence. L’identification rapide permet, entre autres, de savoir si la tique appartient à une espèce pouvant transmettre la bactérie responsable de la maladie de Lyme ou non. De plus, depuis ce mois-ci, l’application mobile eTick est disponible gratuitement, permettant ainsi la soumission plus rapide des tiques qu’on peut trouver lors de nos activités quotidiennes.

Une tique t’as piquée?

À la suite d’une piqûre par une tique infectée, le risque de développer la maladie de Lyme est très faible si la tique reste ancrée dans la peau moins de 24 heures.

Ce risque augmente si la tique reste accrochée plus longtemps. 

Il est donc important de retirer la tique de la peau le plus rapidement possible.

Bien que l’article présent s’attarde à Ixodes scapularis et à son rôle de vecteur de la maladie de Lyme, plusieurs autres espèces de tiques se retrouvent  au Canada, et certaines espèces sont porteuses de maladies. Les bases de données sur la biodiversité sont donc essentielles pour les recherches futures sur la relation entre la biodiversité et le risque de transmission d'agents pathogènes par les tiques.


Dès que les températures passent au-dessus de zéro, si vous rencontrez une tique dans votre environnement, prenez-là en photo, et envoyez-là à eTick.ca. Chaque soumission d’image est une donnée permettant, à long terme, d’établir des mesures afin d’améliorer la santé des canadiens et canadiennes.


 

eTick.ca attend vos photos de tiques!

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En savoir plus 

Références

Brownstein, J. S., Holford, T. R., & Fish, D. (2005). Effect of Climate Change on Lyme Disease Risk in North America. EcoHealth, 2(1), 38–46. https://doi.org/10.1007/s10393-004-0139-x

Dantas-Torres, F. (2015). Climate change, biodiversity, ticks and tick-borne diseases: The butterfly effect. International Journal for Parasitology: Parasites and Wildlife, 4(3), 452–461. https://doi.org/10.1016/j.ijppaw.2015.07.001

Dilution Effect | Cary Institute of Ecosystem Studies. (2018). Extrait le 4 mars 2019, de https://www.caryinstitute.org/science-program/research-projects/biodiversity-community-ecology-and-dilution-effect/dilution-effect

Dumic, I., & Severnini, E. (2018). “Ticking Bomb”: The Impact of Climate Change on the Incidence of Lyme Disease. Canadian Journal of Infectious Diseases and Medical Microbiology, 2018, 1–10. https://doi.org/10.1155/2018/5719081

INSPQ. (2010). Le risque de la maladie de Lyme au Canada en relation avec les changements climatiques : évaluation des systèmes de surveillance. Extrait de https://www.inspq.qc.ca/pdf/publications/1118_MaladieLymeEvaSystSurv.pdf

Ogden, N. H., Maarouf, A., Barker, I. K., Bigras-Poulin, M., Lindsay, L. R., Morshed, M. G., … Charron, D. F. (2006). Climate change and the potential for range expansion of the Lyme disease vector Ixodes scapularis in Canada. International Journal for Parasitology, 36(1), 63–70. https://doi.org/10.1016/j.ijpara.2005.08.016

Québec Science. (11 novembre, 2017). La souris, la tique et la bactérie. Extrait le 4 mars 2019, de https://www.quebecscience.qc.ca/14-17-ans/encyclo/la-souris-la-tique-et-la-bacterie

Rey Valderrama, P. S. (Février, 2018). La maladie de Lyme au Québec : une analyse des interventions selon une perspective de développement durable. Extrait le 4 mars 2019, de https://savoirs.usherbrooke.ca/bitstream/handle/11143/11891/Rey_Valderrama_Paola_Stella_MEnv_2018.pdf

Taylor, L. H., Latham, S. M., & Woolhouse, M. E. (2001). Risk factors for human disease emergence. Philos Trans R Soc Lond B Biol Sci., 356(1411), 983–989. https://doi.org/10.1098/rstb.2001.0888

Ticks are even tougher and nastier than you thought: Biologists are tracking tick populations to stem tick-borne illnesses such as Lyme disease. (2017). Extrait le 21 mars 2019, de http://www.sciencedaily.com/releases/2017/09/170925133016.htm

WHO | Vector-borne diseases. (2014). Who.Int. https://doi.org//entity/mediacentre/factsheets/fs387/en/index.html

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eTick.ca

eTick.ca est une plateforme publique d’identification d’images

et de suivi des populations de tiques au Canada.

Le projet de science citoyenne eTick.ca invite donc le public à s’impliquer dans le suivi des populations de tiques pour augmenter nos connaissances sur leurs aires de distribution au Canada en soumettant des photos de tiques sur le site web de eTick.ca ou sur l'application mobile eTick, pour identification par un professionnel. Les résultats d’identification des tiques, combinés à ceux de leur date et lieu de collecte, apparaissent ensuite sur une carte, de façon à ce que tous les utilisateurs puissent visualiser rapidement toutes les soumissions pour une ou plusieurs espèces, et ce, pour la région et/ou l’année de leur choix.

L’accès à la plateforme est entièrement gratuit et il n’est pas nécessaire de contribuer à la soumission de photo pour consulter les données.

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