Le Lien
Par Olivier Cameron Trudel
Biologiste de la faune & Photographe
Faune | Écologie | Comprendre
Temps de lecture: Environ 4 minutes
Photographie et texte par Olivier Cameron Trudel
Mise en ligne 22 Mai 2019
Journée internationale de la biodiversité
Ce photo-reportage d’Olivier Cameron-Trudel biologiste de la faune et photographe, lance un message vibrant sur l’importance de la conservation de la biodiversité bien au-delà des parcs nationaux et des aires protégées. Cette biodiversité étendue est « essentielle à notre survie ».
Le Lien
Les premiers fondements de la conservation contemporaine de la nature sont apparus en Amérique vers la fin du 19e siècle, avec la création des parcs nationaux et des aires protégées. Yellowstone aux États-Unis est le premier territoire à obtenir cette mention au monde. Bien que la protection des territoires était initialement basée sur des critères surtout esthétiques, ou encore visant à soutenir des réserves d’animaux abondantes pour la chasse, il s’agissait d’une des premières pierres à l’édifice qu’il restait encore à construire... cet édifice représentant la “conservation de la biodiversité”, pour le plus grand bénéfice de l’homme et de la nature.
Biodiversité : Diversité génétique, des espèces vivantes, ainsi que des écosystèmes.
Connectivité écologique :
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Une connectivité spatiale : structurelle, physique, liant deux lieux dans l’espace ;
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Une connectivité fonctionnelle qui lie ou relie des éléments éco-paysagers physiquement connectés ou non. Elle les relie entre eux, du point de vue d'un individu, d'une espèce, d'une population ou d'une association de ces entités, pour tout ou une partie de leur stade de développement, à un moment donné ou pour une période donnée.
Conserver la biodiversité, ce n’est pas uniquement protéger une espèce singulière, par-ici, par-là, selon nos priorités et intérêts. C’est de travailler à protéger toutes les espèces, en leurs permettant de subsister dans des écosystèmes complexes, fonctionnels et résilients. Ce qui revient à dire que non seulement les espèces doivent être protégée, mais c’est aussi les interactions complexes entre celles-ci qui doivent être conservées.
Cette biodiversité nous apporte au quotidien, une variété dans nos assiettes, des matériaux divers, et permet des moments de pur bonheur et de spiritualité en plein air. Cette biodiversité, la Nature avec un grand “N”, elle n’a pas de prix, mais elle a une valeur infinie puisqu’elle est essentielle à notre survie sur terre.
“C’est l’éventail de la biodiversité dont nous devons nous occuper
- le tout - plutôt que d’une ou deux étoiles.”
― David Attenborough
Le concept des aires protégées, pour la protection de formations géologiques et d’habitats physiques, est relativement simple et efficace. Mais pour ce qui est de la protection de la faune, ce n’est pas toujours aussi simple.
Faune : Ensemble des espèces animales vivant dans un espace géographique ou un habitat déterminé.
Dans les faits, peu d’aires protégées ont une superficie suffisante pour maintenir les populations de plusieurs espèces animales indigènes qu’elles abritent. Certains animaux, notamment les grands prédateurs, requièrent des domaines vitaux d’une telle ampleur que la plupart des aires protégées ne sont pas en moyen d’héberger une population minimale viable. Par conséquent, le maintien de ces espèces à l’intérieur de ces aires protégées est aussi lié à leur présence à l’extérieur de ses frontières, ainsi qu’à l’immigration de nouveaux arrivants vers ces territoires. Non seulement l’arrivée de nouveaux individus dans une aire protégée vient soutenir la taille de la population s’y trouvant, elle favorise aussi un certain brassage génétique qui est essentiel à la résilience d’une population donnée face aux aléas du temps.
Alors que l’espace disponible dans la majorité des aires protégées n’est pas suffisant pour assurer le maintien de plusieurs espèces en “circuit fermé”, certaines autres espèces dites migratoires, ne peuvent tout simplement pas trouver les ressources saisonnières dont elles ont besoins pour compléter leur cycle vital à l’intérieur de ces territoires. Ces espèces, tels les papillons monarques, les saumons, les tortues marines, les oiseaux migrateurs ou les cétacés, migrent et/ou se déplacent sur de longues distances. La protection d’aires uniques sur la planète ne pourra jamais suffire à leur conservation, en plus de générer une mosaïque de parcelles isolées les unes des autres par l’empreinte humaine. Il est donc primordial de protéger les différents habitats essentiels des espèces migratrices. Et ceci devrait bien entendu inclure la protection des principales routes migratoires employées par ces espèces, bien au-delà des délimitations tracées par l’humain et de leurs refuges.
Et puis, il y a aussi les “fameux” changements climatiques en cours qui auront pour effet de modifier les caractéristiques de certains habitats, ce qui pourra éventuellement rendre des milieux impropres à la survie d’espèces qu’ils avaient hébergées autrefois. De plus, il est bien possible que ces perturbations climatiques, en affectant les vents et les courants marins, viennent aussi modifier des routes migratoires saisonnières. Les populations occupant ces anciens habitats propices feront face à deux choix, tenter de survivre en restant dans ces milieux impropres, ou tenter de survivre en se déplaçant vers de nouveaux habitats, qui seront possiblement plus favorables. Tristement, ceci s’applique déjà à certaines populations tant fauniques, qu’humaines…
Certes, un enjeu prioritaire de conservation semble ressortir de ces constatations: l’importance de prendre en compte la connectivité des habitats. Assurer un niveau de liaison entre différentes parcelles de ressources, peut permettre la conservation d’un maximum de biodiversité possible. Le territoire terrestre se retrouve hautement fragmenté par notre empreinte anthropique. Créer quelques parcelles légiférées ne suffira pas pour sauver la donne. Évidemment, la faune et la flore ne se limitent pas aux frontières momentanées que nous traçons sur des cartes.
La vie, c’est tout sauf immuable. Donc pour la protéger, il faut prévoir d’inclure le “mouvement” dans notre planification de protection, en conservant et en aménageant des liens qui permettent à la vie de continuer de se mouvoir.
Et comment permet-on la continuité du mouvement? En premier lieu, on pourrait peut-être s’abstenir de construire des murs inutiles… En d’autres mots, on doit éviter de fragmenter les milieux naturels. Quelques exemples de fragmentation? Celle d’une forêt par le développement urbain, celle d’un complexe de milieux humides par l’aménagement d’une route ou celle d’un cours d’eau par la construction d’un barrage hydroélectrique. Mais les barrières ne sont pas que physiques, ni que de béton... Une “barrière” est tout ce qui représente un obstacle substantiel au passage d’une espèce d’un milieu à un autre…
Maintenant, comment fait-on pour accroître les opportunités de mouvement? Car dans les régions qui sont déjà très développées, il devient nécessaire de travailler à “défragmenter” les habitats, ou plutôt, à améliorer la connectivité entre les parcelles d’habitats isolées. Les connexions entre les noeuds que représentent les aires protégées de grandes tailles, n’ont pas toujours besoin d’être d’une grande qualité pour la faune. En effet, l’utilisation de ces parcelles comme milieux de passage ne requiert pas nécessairement la présence de ressources alimentaires ou de refuges, mais simplement une absence de barrières infranchissables. De plus, on ne peut pas favoriser la connectivité de tous les animaux de la même façon, puisque chaque espèce n’a pas le même habitat, les mêmes capacités physiques ni les mêmes spécificités comportementales. Ceci dit, afin de maximiser les investissements, il reste tout de même souhaitable et pragmatique de tenter des approches qui peuvent répondre aux besoins de plusieurs espèces à la fois.
Comme animaux intelligents, il faut prendre en compte, de façon plus structurante, l’enjeu de fragmentation dans nos projets de développement. La connectivité des habitats doit être un critère d’acceptation sine qua none pour tout projet de développement routier ou urbain. En construisant une route, nous visons à nous “connecter” avec une ville avoisinante ou encore à des ressources naturelles que nous désirons exploiter. Collectivement, nous devrions donc comprendre et accepter que le budget d’un projet doit aussi inclure le coût des aménagements nécessaires à maintenir une certaine connectivité fonctionnelle pour la faune. Si ça vous semble logique, il n’en tient qu’à nous pour rehausser nos exigences face aux acteurs qui orchestrent le développement de la société.
Nous pourrions aussi considérer le fait d’arrêter de s’étendre? L’étalement urbain fait partie des menaces sérieuses à la conservation de la biodiversité. Nous pouvons très bien se contenter d’entretenir et de réaménager ce qui est déjà développé. Pourrions-nous même nous densifier davantage? Assurément! Une grande partie des solutions résident dans le design urbain et dans les types de projets de développement et d’exploitation que nous acceptons de mettre de l’avant comme communauté.
Qui sait, peut-être que si comme société on se mettait vraiment à se soucier de la connectivité des milieux naturels, ça nous aiderait un petit peu, nous aussi, à se reconnecter avec notre nature et à créer des liens!
Olivier Cameron Trudel
Biologiste de la faune, Photographe & Explorateur terrestre
Sur le terrain en photographie conventionnelle, en hélicoptère ou en kayak, Olivier capture la nature et ses animaux dans son essence la plus pure, sans artifice. Il poursuit constamment ce petit moment, cette étincelle dans l’oeil de l’animal ou par des paysages extraordinaires où l’humain est sans équivoque ramené à se rappeler qu’il fait partie prenante de l’écosystème.