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Carnet de bord 04

Tristes trésors

L'Île aux Lièvres, l'Île aux Fraises et l'Île Blanche
47°53'28.2"N 69°42'03.2"O | 47°45'46.6"N 69°48'03.4"O | 47°55'41.8"N 69°40'21.8"O

Mis en ligne le 8 juillet 2025

Texte par Marina deSeta, Camille Deslauriers, Rose Gagnon-Yelle, Sophie Valiergue

L’Expédition Bleue revient pour un troisième et dernier chapitre dans le Saint-Laurent. L’équipe fait les choses en grand avec sa flottille composée des voiliers Vanamo et Bleuet et son équipe interdisciplinaire composée à 75% de femmes. Les volets scientifique, littéraire et documentaire sont de retour et s’enrichissent du regard de chercheuses en écotoxicologie marine, en communication, en éthique et en archéologie. 


Les deux voiliers voyageront pendant 18 jours dans les îles de l’estuaire du Saint-Laurent, de l’eau douce de l’Île d’Orléans à l’eau salée de l’Île Saint-Barnabé. Suivez leur mission de recherche en direct à travers les carnets de bord, les cartes postales poétiques et les réflexions qui paraitront en ligne au fil de l’expédition.


Bienvenue à bord!

Tristes trésors

Le programme de nos journées est cadencé par les nettoyages et les repas partagés. Après un déjeuner qui assure notre résistance, on débarque sur l’île qui est à l’horaire, aux premières secondes de cette piste qu’on trace, intitulée Estuaire moyen. Nos doigts passent au peigne fin le corps du Fleuve, longeant les îles - ses grains de beauté. Leur silhouette, tantôt disciplinée, tantôt sauvage, est tracée parfois par l’estran, parfois par le granit.

À chaque débarquement, on attrape notre sac, les gants enveloppent la peau et on se lance à la découverte du terrain. On le délivre de ses contaminants, pour lui restituer une partie de sa souveraineté. Chaque jour, le territoire nous présente des défis, puisque nos extrémités sont accoutumées à l’asphalte et nos coudes, ankylosés à force de maintenir un angle de  90 degrés. S'ensuit alors un ensemble d’ajustements – descendre une pente rocheuse, avoir les pieds dans la vase, rencontrer des antagonistes imprévus (comme l’herbe à puces ou une vague de chaleur). L’Île nous ramène à l’ordre: on est chez elle, il ne faut pas l’oublier. Elle nous montre notre fragilité qui gît sur l’estran, la marée haute du confort l’enfouit quasiment toujours. On s’acharne à ramasser l’impossible : le styromousse s’effrite sous nos doigts, sa ténacité grince; omniprésentes bouteilles de plastique, restants de coton-tige en grande quantité. Parfois, des surprises. Un panier d’épicerie qui porte des dizaines de bivalves en guise de pendentifs nous donne une idée du temps qu’il a passé en apnée.

Malgré ces trouvailles – étau sur le torse –, le vent nous effleure de ses câlins. Les vêtements collent davantage à la peau sous ses caresses. La posture des arbres, dont l’échine faite de lignes à peine tracées s’apparentant à un croquis, témoigne aussi de son amour. On se demande si, aux yeux des hirondelles, nos têtes penchées sur les cahiers ont l’air des cupules des glands de chêne. Ici, rien que le clapotis des vagues, le bruissement du vent entre les feuilles de peupliers et les cris des goélands qui nichent sur l’île voisine. Nos voix s’y joignent le temps d’un après-midi. Ce soir, Grosse-Île pourra entendre nos guitares en écho.

Marina deSeta

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“Walked out this morning, I don’t believe what I saw

A hundred billion bottles washed up on the shore

Seems I’m not alone in being alone

Hundred billion castaways looking for a home

 

I’ll send an SOS to the world

I’ll send an SOS to the world

I hope that someone gets my

I hope that someone gets my

I hope that someone gets my

 

Message in a bottle”

 

The Police, 1979

Île aux Lièvres

 

Huitième nettoyage de berges. Avant d’y arriver, on doit suivre le sentier de la mer du Sud, puis le sentier de la traverse. On marche vers la Pointe Ouest de l’Anse de Sable. On s’enfonce dans la forêt. Presque deux kilomètres avant d’apercevoir à nouveau le fleuve. 

 

On est poursuivies par des milliers de moustiques. On vient de tuer trois maringouins qui se gavaient sur un même doigt. On a chaud. On sue. On a l’impression qu’on est rouge comme l’imperméable Helly Hansen qu’on porte. Mais, on continue à marcher en file, comme des joyeux naufragés oubliés sur l’Île aux lièvres.

 

On est émerveillées par l’expérience olfactive. Dans ce tunnel de verdure, on respire autrement. Fraîcheur de l’air, notes d’épinettes et de chèvrefeuille. On s’arrête parfois pour photographier des sabots de la vierge. On reconnaît aussi une talle de lépiotes félines communément appelées “nez-de-chats”. On s’ennuie de nos félins. 

 

Coup de nostalgie. 

 

On revient vite au présent. Les capuchons jaunes qui nous précèdent sont déjà rendus loin devant. On peine à suivre les autres, parce que la cinquantaine a frappé fort dans les hanches et l’arthrose s’est emparée de nos os, mais on avance vers nos collègues qui, déjà, nettoient les berges.

 

Au bout du sentier, on fait un selfie écarlate. On sourit. On est fière d’avoir marché autant – et la vue est époustouflante : une longue haie d’églantiers borde la grève. Devant, le fleuve. Le paysage se décline en camaïeu gris. Eau, montagnes embrumées de la rive nord, ciel. Une vraie carte postale. 

 

Et pourtant.

 

Sur la bâche bleu vif où sont vidés les sacs et les sacs de déchets collectés pendant le nettoyage défilent : 1508 morceaux de styromousse de 5 cm et moins; 135 fragments de plastique rigide; 23 applicateurs tampons en plastique; 107 bouchons en plastique; 55 bouteilles en plastique; 7 ampoules; 20 bidons à liquide d’un litre et plus; 6 briquets; 9 jouets en plastique – figurine de chevalier du Moyen âge, balle noire, volant de badminton nous surprennent; 4 souliers, semelles ou sandales orphelin.e.s; 11 bâtonnets de coton tige; 8 sachets d’emballage de collation laminés; 31 cartouches de fusil; 52 gros morceaux de styromousse; 41 parcelles de pellicule plastique. 

 

En attendant la catégorisation des rebuts, on les classe par couleur et on les photographie sous tous leurs angles. Série bleue, série jaune; série verte; série jadis transparente; série rouge. On prend des notes dans son carnet. Beauté plastique ? L’antithèse choque. Pourquoi jeter encore « tout ça » dans la nature ? La question s’incruste comme la végétation dans la mousse de polystyrène. 

 

On a même trouvé le grand amour scellé sous vide dans une minuscule bouteille de verre.

 

On n’a pas libéré le génie. 

 

À l’âge qu’on a, ça fait longtemps qu’on n’y croit plus, au grand Amour.

Camille Deslauriers

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On débarque sur l’île aux Fraises et les vagues tranquilles nous arrivent aux genoux. Le rivage touffu s’avère assez propre, il faut regarder à l’orée de la dune ou dans le détail des lignes de marées pour trouver des petites pellicules de plastique transparentes, rouges, bleues ou vertes. Des mésoplastiques, a-t-on appris, dont la taille se situe entre celles des microplastiques et des macroplastiques. Cette plage est nettoyée deux fois par année par des promeneurs attentifs. Quand on déplace notre recensement vers des plages moins fréquentées, de l’autre côté de la pointe du Bout d’en Bas, surgissent les tristes trésors. Même si l’équipe scientifique nous a raconté l’abondance des déchets, elle nous surprend. On peut s’accroupir n’importe où à travers les morceaux de bois flotté et se remplir les mains de morceaux de plastique. Bientôt, il n’y a plus de place entre les doigts pour les déchets qu’il reste à ramasser, et la respiration s’accélère. Nos yeux sondent frénétiquement la parcelle, s’embuent un peu. Il faut se souvenir de chaque trouvaille pour revenir la chercher. On a l’impression que tout ce qu’on oublie sera perdu, que le fragment de plastique qu’on laissera derrière sera avalé par la plage et que la contamination sera irréversible. 

On nomme chaque déchet pour qu’il soit entré dans la base de données. Un baril, un pneu, du styromousse, des bouteilles, le Gaétan-des-Berges, un gros morceau de styromousse, un petit morceau de styromousse, une cannette, du styromousse, petit morceau de styromousse, styromousse, styromousse, gros morceau de styromousse, styromousse, styromousse styromousse styromousse styromousse styromousse styromousse styromousse styromousses styromousse styromousse styromousse styromoussestyromoussestyromoussestyromoussestyromoussestyromoussestyromoussestyromoussestyromoussestyromousse...

On a compté jusqu’à 528 et tous les mots qu’on connaît ont été éclipsés par un seul.

Rose Gagnon-Yelle

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Trompe-l’œil

 

Au fil des ramassages, nos regards s’affutent. On apprend à débusquer le moindre petit morceau de plastique caché dans le sable, les hautes herbes ou les rochers. Désormais, dès qu’on met le pied à terre, on scrute les alentours, à la recherche de formes, de couleurs et de textures particulières, propres aux déchets en plastique.

 

Et pourtant, les trompe-l’œil sont nombreux : écorces de bouleau, coquillages, algues séchées, pétales d’églantiers. La Nature, elle aussi, produit des blancs immaculés, des couleurs vives et des textures translucides. Et dans notre chasse au plastique, on se sent souvent désappointée de tomber sur un élément naturel. N’est-il pas paradoxal d’être déçue de découvrir une coquille de moule quand on pensait ramasser un morceau de plastique bleu ?

 

Sur l’île Blanche, on se sent privilégiée. Cette réserve faunique, interdite aux humains, abrite plusieurs espèces d’oiseaux : goélands marins, goélands gris, eiders. On cherche le plastique échoué sur les berges, transporté par les courants du fleuve. Ici aussi, les trompe-l’œil se cachent parmi les morceaux de styromousse, les bouteilles en plastique et les gants en latex.

 

Les coquilles d’œufs vides sont particulièrement fourbes. Affaissées et ramollies, elles ressemblent à s’y méprendre à des morceaux de plastique blanc. Ce n’est qu’à force d’en voir qu’on parvient à les reconnaître. L’apprentissage continue.

 

 Sophie Valiergue

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