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Femmes monolithes
Carnet de bord de l'Expédition Bleue
Mis en ligne le 10 septembre 2022
Fragments co-écrit par Camille Deslauriers, Erika Arsenault & Tina Laphengphratheng
À bord de l’impressionnant voilier Ecomaris, un équipage diversifié, mené par 7 femmes, dont certains issus de la communauté LGBTQ2+ et leurs acolytes participeront au projet qui parcourra le golfe du Saint-Laurent et ses rivages pendant près de trois semaines pour étudier et documenter la pollution plastique et témoigner des changements climatiques.
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Durant le périple de 20 jours au coeur du golfe du Saint-Laurent, nous publierons une panoplie de carnets de bord, microrécits et cartes postales, le tout produit par l'équipe à bord du voilier.
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Bienvenue à bord!
Femmes Monolithes
Sur l’Ecomaris, entre filles d’eau et filles d’encre, les confidences : des voiles qui battent au vent.
Le seul A- du baccalauréat, les patates le pain le riz qu’on n’ose plus manger. Cette cloche de l’imperfection qui tinte sans relâche dans nos têtes. Cette impression d’être minérales, si lourdes, le corps-menhir sur la balance, un albatros aux ailes de roc. Et, toujours, cette obsession : éviter que son corps ne soit dans les jambes des autres.
Chaque fois, quand quelqu’un passe derrière, entre les couchettes, les manteaux suspendus et notre chaise, la certitude qu’il n’y a pas assez d’espace. On se sent comme un ballon rempli de sucre à la crème de bière de biscuits de plomb de cailloux que personne n’arrive à pousser, un sac de peau dont les coutures craquent. On dérange. On s’excuse. On s’avance le plus possible vers la table. On compresse son ventre, on s’écrase les seins – et on rit. Pour repousser ses sanglots jusqu’au vagin.
Le corps : un ennemi, depuis l’âge de vingt ans.
Les régimes, les éternelles salades, les calories qu’on compte et recompte, on connaît ça. Minçavie, Scarsdale, Keto, Montignac, Dukan, Weight Watchers, énumère-les, je les ai tous déjà essayés.
Depuis qu’on a levé les voiles, maintenant confrontée à son gros corps dans « le carré » – cet espace de vie réduit qu’on partage avec tous ces autres – on devient une baleine bleue qui engloutit 300 crustacés d’un coup.
Aujourd’hui comme hier, la minceur n’est qu’une question de motivation. Aujourd’hui comme hier s’impose le souvenir de cet ex qui, un jour, a dit tu feras attention à ton poids lors des retrouvailles, au sortir de l’avion, parce qu’il avait vu, sur Facebook, cet égoportrait qu’on avait pris à La Rochelle, celui où l’on s’était permis un bâton de réglisse.
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- Camilles Deslauriers
On veille sur les autres aventurières, attentives aux signes, visage blême, peau froide, est-ce que tout va bien ? On materne les phoques, viens ici mon coco, on partage les découvertes, regardez la plante carnivore, on réattache nos vies à ce Québec nordique qu’on ne connaît pas.
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Un nœud cabestan et on solidifie nos regards, on réapprend à soigner. Nos corps, nos sœurs, notre territoire.
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- Erika Arsenault
D’un monde à l’autre, on apprend à lire le vent, la lumière reflétée par la brume. Ici, pas d’autre choix que de se fier au corps. Notre corps de femme. Ce corps mal aimé – avec ses cicatrices, ses rides et ses rondeurs. On apprend à se tenir debout sur un sol mouvant. On s’adapte vite. Déjà, le mal de terre. Sur l’île, des falaises mortes aux cimes de sphaignes. Elles prennent racine dans des talles de lichen, de camarines noires et d’airelles. On se découvre monothropa uniflora. Une fleur sans chlorophylle, métamorphosée pour survivre dans la faible lumière.
On se découvre littorales, monolithes, eaux fécondes.
On ressort de la forêt comme on sort de chez le psychologue.
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Tourmentées que tant de beauté puisse encore survivre.
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- Tina Laphengphratheng
